Je ne l’apprendrai à personne, les temps sont durs pour le monde de la publicité et des médias traditionnels.
Mine de rien, c’est tout l’ensemble du modèle publicitaire qui est en train de se transformer à cause des nouvelles technologies, d’internet, du numérique, des médias sociaux, de la mobilité, du big data, de la mondialisation des industries culturelles et bientôt, de l’intelligence artificielle.
Avec l’arrivée des tablettes, du téléphone intelligent, de Netflix, des plateformes musicales et de l’internet, la bataille pour attirer l’attention est plus féroce que jamais.
Sans surprise, comme on a pu le constater la semaine dernière avec les annonces du Groupe TVA et de Pierre Karl Péladeau, rien ne va plus pour les géants de la télévision traditionnelle.
Le passage des médias traditionnels à l'ère numérique a provoqué d'importants changements, tant dans la manière de consommer les médias que dans la manière de la produire et de la diffuser.
Visiblement, avec l’essor du numérique, toutes les sphères des médias devront s’ajuster à cette nouvelle réalité. Dans le cas de la télévision, TVA, Radio-Canada et Noovo sont confrontés à 10 défis:
Trop de chaînes. Au Québec, on compte trois réseaux généralistes et une trentaine de chaînes spécialisées. C’est trop pour une population de 8 millions d’habitants!
Changements d’habitudes d’écoute. Mine de rien, nous assistons chaque jour au lent déclin de la télévision de rendez-vous. Il y a quinze ans, je devais m’asseoir devant le téléviseur à 19 h pour regarder une émission débutant à 19 h. Cette époque est terminée! Aujourd’hui, je peux enregistrer l’émission, la regarder plus tard ou la retrouver sur d’autres plateformes.
De plus en plus de gens regardent les séries en rafales (binge racing ou binge watching, en anglais); de nouveaux contenus sont proposés par Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou Apple TV+. L’info télévisée en fin de soirée, autrefois le nerf de la guerre en télévision (avec le sport), est en déclin et le sport fait lentement le saut vers le streaming.
Étienne Paré, journaliste au quotidien Le Devoir, mentionne que «les chiffres de Numeris confirment ce que les diffuseurs remarquent depuis District 31, à savoir que le créneau le plus prisé de la télévision traditionnelle se situe maintenant peu après l’heure du souper, et non plus entre 20 h et 22 h, comme avant». Ceci signifie que plusieurs consommateurs ne regardent plus la télévision et le contenu vidéo comme avant.
Des stratégies d’évitement de la publicité. Il serait utopique de penser que l’enregistreur numérique n’a pas eu d’effet sur l’efficacité publicitaire de la télévision. Les gens enregistrent désormais leurs émissions favorites pour les regarder plus tard en accéléré. Évidemment, les téléspectateurs ne voient que partiellement votre publicité.
L’arrivée de la publicité numérique. L’année 2013 a marqué un moment décisif en publicité (1). Pour la première fois, les investissements publicitaires numériques au pays ont été plus importants que ceux à la télé, selon le Bureau de la publicité interactive du Canada. Au Québec, c’est en 2015 que les dépenses publicitaires sur le numérique ont dépassé pour la première fois celles faites à la télévision.
Le profil de l’écoute de la télévision. Quand on jette un coup d’œil sur le profil des téléspectateurs, spécialement durant le jour, certains segments de la population sont surreprésentés (personnes âgées avec des revenus inférieurs à la moyenne, gens moins scolarisés) et d’autres sous-représentés (les jeunes, les gens plus scolarisés et les revenus supérieurs à la moyenne).
La multiplication des messages. En quarante ans, on est passé des messages de 60 secondes aux messages de 30 secondes, puis de 15 secondes. Cela a eu pour effet d’augmenter le nombre de commerciaux auxquels les consommateurs sont exposés dans une même période de temps. Or, le sens commun veut qu’il devienne de plus en plus difficile de transmettre un message efficace dans cet environnement. Évidemment, «Ça dilue l’impact de chaque message», affirme Pierre Arthur, vice-président senior d’Optimédia (2).
Comme si ce n’était pas suffisant, près de 15 ans après les chaînes généralistes, le CRTC annonçait récemment l’abolition de la limite de 12 minutes de publicité par heure du côté des chaînes spécialisées...
La télécommande ou zappette. Avec la multiplication des messages publicitaires et l’arrivée de la télécommande, les téléspectateurs ont pris une mauvaise habitude: ils changent de chaînes à l’aide de leur zappette, que ce soit durant les émissions ou pendant les pauses publicitaires.
Le déclin du câble. Depuis 2013, le nombre d’abonnés au câble est entré dans une phase de décroissance aux États-Unis (3). Certains groupes sont plus enclins à se désabonner que d'autres: communautés culturelles, ménages ayant uniquement des appareils cellulaires à la maison et ménages avec de jeunes enfants. À l'inverse, les Canadiens de plus de 65 ans, les personnes moins instruites et les femmes sont moins susceptibles de se désabonner (4).
Selon le New York Times: «l’un des plus grands câblo-opérateurs des États-Unis a un message pour les entreprises de médias: le modèle traditionnel de télévision par câble est cassé et il doit être réparé ou abandonné.»
De nouveaux réflexes chez les plus jeunes. Le réflexe premier de la nouvelle génération consiste à abandonner la télévision par câble et satellite, perçue comme étant trop dispendieuses, pour s’abonner au service Netflix, disponible sur des tonnes de plateformes : iPhone, iPad, Android, Apple TV, Roku, Xbox, Playstation, télévision intelligente, tablettes, écrans d’ordinateur, etc.
Des réflexes tellement importants que la NBA annonçait il y a quelques jours que le prochain contrat de “TV” de la ligue devra faire une plus grande place au visionnement en continu (streaming) et donc adopter une approche hybride (médias traditionnels et nouvelles plateformes).
La télévision intelligente. De plus en plus de foyers possèdent déjà un téléviseur branché directement sur Internet. Ces consommateurs de télévision ont déjà accès à Netflix dans le confort de leur foyer. Le quart des Québécois sont abonnés à au moins 3 plateformes de visionnement en ligne. Une forte majorité des internautes francophones regardent désormais des vidéos en ligne pour se divertir. Et c’est principalement vers la plateforme YouTube qu’ils se tournent pour les visionner.
On comprend donc que la télévision change parce qu’elle est soumise à des révolutions technologiques, économiques et de contenus.
Comme l’écrit avec justesse Bryan Myles du quotidien Le Devoir: “Il faudra des solutions créatives pour que la télévision « post-traditionnelle » puisse être viable. TVA est le premier diffuseur à accuser le coup pour la migration des audiences et des revenus vers le numérique, mais il ne sera pas le dernier.”
Sources:
(1) Buchinger, Julie (2015), « Télé : encore première ? », Infopresse, 17 octobre, infopresse.com/dossier/2015/10/17/tele-encore-premier
(2) Romain (1998), « L'univers des médias », La Presse, 4 mars, p. D18.
(3) Lechevallier, Pascal (2016), « Le marché TV américain sous pression », ZDNet, août, zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/le-marche-tv-americain-sous-pression-39840908.htm
(4) Équipe de rédaction (2017), « Les Canadiens abandonnent leur service de télévision », Infopresse, infopresse.com/article/2017/8/10/les-canadiens-abandonnent-leur-service-de-television
PODCAST
Dans cet entretien avec Pierre C. Bélanger, un vétéran des médias et ex-professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa, Bruno Guglielminetti explore son parcours de plus de 33 ans dans l'industrie. Il a partagé des réflexions sur l'adaptation des médias traditionnels à l'ère numérique, la réglementation en évolution, et son observation de la nouvelle génération d'étudiants. Une discussion qui met en lumière l'importance de l'adaptation et de la passion dans un secteur en constante évolution
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MARKETING ET PUBLICITÉ - 10 NOUVELLES CLÉS
> Il faudra des solutions créatives pour que la télévision « post-traditionnelle » puisse être viable. TVA est le premier diffuseur à accuser le coup pour la migration des audiences et des revenus vers le numérique, mais il ne sera pas le dernier.
> Après Montréal, Transcontinental met fin à la distribution du Publisac au Québec. Toronto et Hamilton, ainsi que la banlieue de Vancouver, sont également touchées, un coup dur pour les journaux régionaux qui comptaient sur ce véhicule.
> Forrester vient de dévoiler ses prévisions pour 2024 concernant le marketing et les ventes en BtoB et en BtoC.
> Dentsu vient de publier ses tendances médias à suivre pour l’année à venir. Cette édition 2024 regroupe les insights relevés par les experts des agences du groupe (Dentsu X, Carat et iPropsect) et explore les évolutions de fond qui devraient impacter l’industrie des médias dans les années à venir.
> « Selon Statistique Canada, l’inflation alimentaire au Canada est récemment tombée en dessous de la barre des 6 %, ce qui est une bonne nouvelle. Cependant, une question cruciale demeure : les Canadiens y croient-ils ? »
> La SAQ est en retard sur la concurrence pour la livraison, ce qui n’empêche pas les multinationales de flairer la bonne affaire. Uber Eats souhaite devenir le livreur attitré de la société d’État.
> Longtemps associée aux courses de café du matin et au déjeuner, la chaîne de cafés Tim Hortons veut maintenant étendre sa domination à la seconde moitié de la journée.
> Vingt mois après avoir été achetés par de jeunes entrepreneurs québécois, les restaurants Ashton modernisent leur image, introduisent des laits frappés et mettent le cap sur une expansion qui les amènera hors de la région de Québec.
> La saignée des médias est loin d’être terminée alors qu’il faut s’attendre à des réductions importantes de postes à CBC/Radio-Canada.
> Google est prêt à financer un fonds indépendant pour le journalisme au lieu de conclure des ententes à la pièce avec chaque média. Dans les circonstances, c’est la voie à suivre.
> Une «nouvelle terrible» Les salles de nouvelles régionales de TVA peinent à encaisser le choc de l’annonce des 98 suppressions d’emplois. Sherbrooke, Trois-Rivières, Rimouski et Chicoutimi, des dizaines de travailleurs ont reçu une lettre de licenciement.
> C’est la fin pour Publisac après 46 ans d’histoire. Transcontinental va le remplacer par son feuillet de circulaires «raddar» à l’ensemble du Québec.
> Groupe TVA annonce une réduction de ses effectifs de 547 employés à travers toutes ses filiales.
> Les Coops de l’information se préparent à publier leurs dernières éditions imprimées hebdomadaires, le 30 décembre prochain, pour devenir entièrement des médias numériques.
> Le président et chef de la direction de Québecor a coupé court à toute rumeur concernant l’avenir de la chaîne d’information en continu LCN.
IMAGES DE LA SEMAINE
Licenciements ou départs volontaires dans les médias depuis le début de 2023
Bénéfice net de TVA, 2019-2023
Revenus de Meta/Facebook, 2016-2023 (en millions $) — TSOH
Revenus de Google, 2002-2022 ( en milliards $) — Statista
À PROPOS DE LUC DUPONT
Luc Dupont est professeur agrégé au département de communication de l’Université d’Ottawa. Il est également auteur, conférencier et chercheur associé à l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques (OMSRP). Il donne chaque année de nombreuses entrevues dans les médias sur le marketing et la communication. Luc Dupont est présent sur les plateformes X (Twitter), Facebook, LinkedIn, Instagram, Pinterest, Soundcloud et YouTube.