En pleine fièvre du Super Bowl, Bell a annoncé il y a une dizaine de jours qu’elle abolissait 4800 postes au pays et la vente de 45 de ses 103 stations de radio régionales. L'entreprise espère ainsi économiser 250 millions $ par année.
Selon Mirko Bibic, président et chef de la direction, “le modèle d’affaires de la radiodiffusion n’est plus viable.” Comme Pierre Karl Péladeau avant lui, il croit que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) doit revoir son cadre réglementaire le plus rapidement possible.
Au Québec, Arsenal Media a conclu un accord avec Bell Media, filiale du groupe BCE afin de procéder à l'acquisition de 7 stations de radio au Québec.
Cette transaction comprend les stations CFZZ-FM à Saint-Jean-sur-Richelieu, CFEI-FM à Saint-Hyacinthe, CJDM-FM et CHRD-FM à Drummondville, CJOI-FM et CIKI-FM à Rimouski ainsi que CFVM-FM à Amqui.
Une fois que la transaction aura reçu l’aval du CRTC, la division radio d’Arsenal Media comptera 25 radios sur l'ensemble du territoire québécois.
Comment expliquer cet intérêt d’Arsenal pour la radio, un média qui n’est plus viable, selon Monsieur Bibic de Bell?
Premièrement, la radio, souvent considérée comme un média traditionnel malgré la multiplication des plateformes d’écoute numérique, continue de jouer un rôle important dans la vie quotidienne des Québécois, dans les grands centres comme dans les régions.
Ensuite, parce que malgré l'émergence de nouvelles plateformes numériques et de la diffusion en continu, la radio reste un moyen privilégié pour les communautés locales de se connecter, de s'informer et de se divertir.
Enfin, le pouvoir de proximité et d'engagement de la radio en fait un outil précieux pour les annonceurs cherchant à toucher un public ciblé.
À cet égard et comme je le mentionne dans mon livre Comment bâtir sa stratégie médias et publicité, la radio a six avantages clés:
La radio est un média intime et personnel. Elle vous donne la possibilité d’être proche des gens. La communication avec le public est instantanée, immédiate, directe. C’est un média très humain, centré sur le local et qui permet l’interaction.
«La radio est un média qui vous permet de parler aux gens, de leur raconter une histoire[1]», affirme Valérie Letarte, conceptrice rédactrice qui a travaillé récemment sur les campagnes de l’AOQ (Association des optométristes du Québec) et de l’Université de Sherbrooke.
La radio rejoint une cible pointue. Chaque station vise un segment précis. Voulez-vous rejoindre les 18 à 34 ans ? Surtout les professionnels ? Plutôt les femmes ? Les amants de sports?
Il y a quelques débordements—spécialement en région—mais les différentes stations de radio offrent dans l’ensemble des auditoires ciblés selon le sexe, l’âge, la langue, le comportement, le ton ou les valeurs.
La radio est partout: à la maison, au lit, au travail, dans la voiture, dans les magasins, dans les centres de conditionnement physique, etc. La radio est souvent le premier média vers lequel les gens se tournent en commençant leur journée. Avec son étonnante capacité d’être présente partout et en tout temps, la radio reste en contact permanent avec le consommateur.
«Aujourd'hui, les téléphones cellulaires augmentent la disponibilité de notre produit. (…) On peut écouter ce qu'on veut à l'autre bout de la planète[2]», explique Jean-Sébastien Lemire, vice-président, stratégie, stations musicales et plateformes numériques chez Cogeco.
Le coût d’achat et de production de la radio est peu élevé. Par rapport à la télévision, la publicité radiophonique est peu coûteuse à concevoir, à enregistrer et à diffuser. Dans l’ensemble, la radio offre donc la possibilité de hauts taux de fréquence à peu de frais.
«La radio est attirante pour les annonceurs parce qu’un message radio ne coûte pas cher à concevoir, pas cher à produire, pas cher à réaliser et pas très cher à diffuser[3]» affirme Hugo Léger, codirecteur de création chez Bos, désormais DentsuBos.
La radio est un média flexible. Vous pouvez concevoir ou modifier votre message dans un délai très court. Qui plus est, le délai de mise en ondes est également très court. Vous pouvez aussi choisir vos blocs horaires et vous ajuster en fonction de l’actualité.
L’impact de la radio se fait sentir à court terme. Selon la spécialiste des médias Helen Katz, la radio est le média de l’urgence par excellence[4]. En raison de sa rapidité et de sa flexibilité, c’est un support idéal pour les promotions et les actions locales.
Au fond, la radio est un média facile d’utilisation. Mais elle n’est pas parfaite.
Tout d’abord, la radio est victime de la sensibilité des publicitaires aux sondages Numeris (anciennement BBM). Lors de la publication des résultats de sondages, c’est bien connu, toutes les stations sont numéro 1, que ce soit à Montréal, à Québec ou à Saguenay.
Avec le temps, cela a eu pour effet de diminuer la crédibilité de la radio et par la bande, à compliquer inutilement le placement média.
En imposant des quotas de musique francophone élevés, le CRTC a engendré un effet boomerang. Pour plusieurs auditeurs, le taux de répétition des chansons de langue française est devenu trop grand.
André St-Amand, consultant expert-conseil en radiodiffusion chez Bell, explique les problèmes que posent ces quotas :
«La réglementation date de 1975. Avec des barèmes comme 35 % de contenu canadien, 65 % de musique francophone, en bout de ligne, toutes les stations se ressemblent. Le pouvoir de distinction repose sur les 34,9 % de musique autre que le français. On puise tous dans le même panier et le Québec est un petit marché. Ça ne colle plus à la réalité actuelle[5]»,
Par ailleurs, le streaming musical a transformé l’univers de la musique pour toujours. C’est qu’il est de plus en plus facile d’écouter sa propre musique, y compris en déplacement, grâce aux Spotify, Amazon Music, Apple Music et Google Play Music de ce monde.
Qui plus est, de plus en plus de gens écoutent des podcasts ou balados, selon L’Observateur des technologies médias (OTM):
«Trois francophones sur quatre ont écouté du contenu audio en continu au cours du mois précédent. Leur consommation de ce type de contenu se compose de services de musique en continu (49%), de balados (26%) et de radio AM/FM en ligne (26%). Quel que soit le type de contenu audio, l’écoute se fait principalement sur des téléphones intelligents, les ordinateurs arrivant en deuxième position.
YouTube Music et Spotify sont les services de musique en continu les plus utilisés (43% et 32% respectivement). De plus, 35% des francophones optent désormais pour un abonnement payant à un service de musique en continu.
Un·e francophone sur quatre écoute des balados. Les francophones plus jeunes (51%) et ceux dont le revenu du ménage est élevé (39%) montrent le plus grand intérêt pour les balados. Payer pour des balados exclusifs demeure plus niché: seulement 9% des auditeurs de balados choisissent cette option.»
Le nombre élevé de stations dans certains marchés a un impact négatif sur la portée de chacun des messages. Pour contourner cet obstacle, les annonceurs sont condamnés à employer plusieurs stations pour toucher la cible de la campagne.
La lente baisse d’écoute observée dans la radio depuis quelques années a touché tous les groupes d’âge. Elle est cependant plus marquée chez les 24 ans et moins, selon le Centre d’études sur les médias[6].
Malgré ces inconvénients, il est difficile de comprendre pourquoi la radio est un média qui n’est pas plus aimé des créatifs. «La radio, malgré sa forte progression, est un média méconnu et surtout mal utilisé[7]», pense Michel Arpin, membre du Temple de la renommée de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR).
Il est vrai que dans les agences de publicité, les créateurs rêvent de concevoir de la publicité à la télévision et sur les médias sociaux.
Pour être efficace en radio, il faut se distinguer, sortir du lot et surtout frapper l’imagination.
«La radio est le théâtre de l’imaginaire», déclare Bob Rioux, directeur général de la station de radio 104,7 FM en Outaouais (Cogeco).
La radio est probablement le média qui s’est le mieux réinventé avec l’affichage, aidé en cela par la variété d’applications et de plateformes qui permettent d’écouter ce média n’importe quand. La plupart des stations de radio déposent d’ailleurs leurs émissions et leurs entrevues sur leurs sites.
Au fond, la radio est un média qui entretient une relation intime avec les consommateurs. C’est là sa force.
Il y a quelques années, Charles Osgood affirmait: «Si la télévision avait été inventée en premier et la radio en second, les gens diraient "Wow! La radio est un média merveilleux! C’est comme la télévision sauf qu’on n’a pas à la regarder!"[8]»
Sources
[1] Publicité Radio (1993), Info Presse Communications, février.
[2] Vallet, Stéphanie (2017), « Chaînes musicales : comment rivaliser avec le streaming », La Presse, 21 août, http://www.lapresse.ca/arts/medias/201708/21/01-5126185-chaines-musicales-comment-rivaliser-avec-le-streaming.php
[3] Brassard, Philippe (2000), « Simplicité volontaire », Infopresse, octobre, p. 22.
[4] Katz, Helen (1995), The Media Handbook, Lincolnwood, NTC Business Books, p. 68-69.
[5] Vallet, Stéphanie (2017), « Chaînes musicales : comment rivaliser avec le streaming », La Presse, 21 août, http://www.lapresse.ca/arts/medias/201708/21/01-5126185-chaines-musicales-comment-rivaliser-avec-le-streaming.php
[6] Giroux, Daniel (2013), Les médias en quelques statistiques, https://www.cem.ulaval.ca/publics/portraits_sectoriels/radio/
[7] Pierra, Patrick (1991), « Nouvel atout », Info Presse Communications, février, p. 25.
[8] Schulberg, Pete (1996), Radio Advertising: The Authoritative Handbook, Lincolnwood, NTC Business Books, p. IX.
STATS DE LA SEMAINE
Le Super Bowl 58 devient l’événement le plus regardé de l’histoire de la télévision en Amérique du nord depuis les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune avec 123 millions de téléspectateurs.
En outre, CBS indique que 202,4 millions de personnes aux États-Unis ont regardé le Super Bowl (partiellement ou au complet), ce qui représente la plus grande audience totale jamais vue pour ce match, en hausse de 10 % par rapport au chiffre comparable d'il y a un an.
Il a fallu 19 minutes lundi dernier à Dunkin pour vendre son inventaire de survêtements et de chapeaux DunKings à 60 $ liés à sa publicité du Super Bowl mettant en vedette Ben Affleck, Matt Damon et Tom Brady
PODCASTS (2)
Comment expliquer l’engouement pour la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF)? Je reviens sur les origines de ce projet et les choix marketing de la Professional Women's Hockey League (PWHL) dont l’existence remonte à juin 2023 avec Alain Crête et Louis Lacroix à l’antenne du 98,5 FM:
«Tôt ou tard, le Centre Bell va devoir lever la main. Je me permets cette remarque éditoriale parce qu’on l’a fait à Toronto. Je pense que la LNH aurait dû s’associer intimement à la Ligue féminine dès le départ, comme l'a fait la NBA avec la WNBA. [...] Rappelons que le hockey féminin a vécu une traversée du désert dans le passé. Cette fois, la LPHF (PWHL ou Professional Women's Hockey League, en anglais) fonctionne parce qu'elle a un financier, d'abord le propriétaire des Dodgers de Los Angeles. D'autres personnes connues sont impliquées. Et les réseaux de télé ont embarqué.»
Entre 600 et 900 millions $ pour la moitié du catalogue de Michael Jackson! Je commente la plus importante transaction du genre dans l’histoire de la musique et le soudain engouement des investisseurs pour les catalogues musicaux: raisons, facteurs. Entrevue avec Louis-Philippe Brulé de Cogeco.
MARKETING ET PUBLICITÉ - 10 NOUVELLES CLÉS
> L’Observateur des technologies médias (OTM) dévoile des informations détaillées sur les habitudes de consommation de contenus audio des adultes et des enfants canadiens en publiant deux rapports distincts: À l’écoute – Le contenu audio au Canada de l’OTM et Du contenu plein les oreilles de l’OTM Junior.
> Tiger Woods signe une entente de partenariat avec TaylorMade.
> L’entreprise propriétaire de Tim Hortons et Burger King s’attend à ce que son empire de la restauration rapide compte 40 000 restaurants d’ici 2028.
> Selon Moneris, les dépenses lors de la semaine de la Saint-Valentin de 2023, comparée à la semaine précédente, ont augmenté de 913 % pour les fleuristes et de 262 % pour les magasins de bonbons, noix et confiseries.
> Foodtastic, un géant de la restauration, prend une autre grande bouchée des marques québécoises et acquiert les restaurants Archibald. Il s’agit de sa septième acquisition au cours des deux dernières années.
> Un entrepreneur du Québec va faire suer plus de 13 millions de téléspectateurs sur YouTube. Deux sauces piquantes qu’il produit vont se retrouver dans la 23e saison de la populaire émission Hot Ones.
> Grâce à ses 60 000 lumières DEL accrochées aux spectateurs dans le Allegiant Stadium et aux artisans de la scène, une PME québécoise s’est démarquée lors du spectacle de la mi-temps au Super Bowl, qui mettait en vedette Usher.
> Une nouvelle application pour gens seuls souhaite connecter les célibataires qui paient leurs factures à temps. Les candidatures sont désormais ouvertes pour rejoindre Score, une application de rencontres à durée limitée destinée aux personnes ayant une cote de crédit supérieure.
> Lancement de Sora, une intelligence artificielle capable de créer des vidéos de 60 secondes à partir d’un texte #OpenAI.
> Le projet de Google de supprimer les cookies tiers de Chrome d’ici la fin 2024 vient d'entrer en vigueur. L'organisation avait prévu une suppression progressive à partir du 4 janvier, avec 1% des cookies concernés, ce qui laissait aux entreprises le temps de s'adapter avant leur suppression complète d'ici la fin de l'année.
> De l’humour, des vedettes et de la nostalgie: pour rentabiliser leurs 7 millions de dollars, les annonceurs du Super Bowl ont eu recours à des formules qui ont fait leurs preuves. Quelles sont les publicités qui se sont démarquées
> Les consommateurs supposent que les gels de prix sont toujours à leur avantage. Pas certain. Chaque année, entre le 1er novembre et le 1er février, les épiciers demandent aux fournisseurs de ne pas augmenter les prix pour des raisons très nébuleuses.
IMAGE DE LA SEMAINE
Sport professionnel en Amérique du nord: quelles sont les sources de revenus? Dans le cas de la LNH, les revenus au guichet jouent un rôle clé. Pour la NFL et la NBA, c’est plutôt les droits de retransmission des matchs (source: Sportico)
À PROPOS DE LUC DUPONT
Luc Dupont est professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa. Il est également auteur, conférencier et chercheur associé à l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques (OMSRP). Il donne chaque année de nombreuses entrevues dans les médias sur le marketing et la communication. Luc Dupont est présent sur les plateformes Twitter, Facebook, LinkedIn, Instagram, Pinterest, Soundcloud et YouTube.