À l’approche de la fin du contrat pour les droits de diffusion des matchs de la Ligue nationale de hockey (LNH), le journaliste Richard Dufour de La Presse révélait lundi dans un dossier de deux articles (ICI et ICI) que RDS a perdu 22 millions de dollars avant impôts en 2023 en incluant RDS Info, tandis que TVA Sports (Québecor) a perdu 18 millions.
«Le total des pertes atteint ainsi 40 millions, soit plus que le double des pertes de l’année précédente, selon ce que révèlent les chiffres que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) vient de rendre disponibles pour l’année de diffusion terminée le 31 août dernier.
RDS a déjà été la chaîne télé francophone la plus rentable au Québec et l’une des plus rentables au pays. En 2016, RDS et RDS Info avaient généré à elles deux des profits totalisant 22,5 millions.»
Pour l’industrie de la télévision spécialisée et de la télévision sportive, en particulier, il s’agit d’un retournement de situation pour le moins spectaculaire.
Pour la petite histoire, la chaîne ESPN devient la première télévision sportive aux États-Unis le 7 septembre 1979.
Un an plus tard, le magnat des médias Ted Turner fonde le réseau de télévision CNN. Puis en 1981, lancement de la chaîne MTV, spécialisée à l’origine dans la diffusion de vidéo-clips musicaux.
Ces trois chaînes—ESPN, CNN et MTV— sont à l’origine de ce qu'on appelle aujourd’hui la désacralisation de la télévision, passant d’un univers télévisuel composé de deux ou trois chaînes à une offre potentielle dépassant la centaine.
Au départ, comme je le mentionne dans Comment bâtir sa stratégie média et publicité, les chaînes spécialisées sont regardées avec scepticisme par les annonceurs. Mais rapidement, le monde de la publicité et des médias saisit le potentiel commercial de la télévision spécialisée:
La télévision spécialisée permet un ciblage pointu des clientèles. Les publics de la télévision spécialisée sont plus restreints, mais les canaux thématiques offrent une segmentation serrée. Ils conviennent notamment aux annonceurs qui cherchent à se différencier.
«L’avantage des chaînes spécialisées est que l’on s’adresse à un auditoire précis, ce qui est très attrayant pour un annonceur [1]», dit André Bureau.
«Les télévisions spécialisées s’analysent comme des magazines ou les sections d’un quotidien [2]», rappelle Charles Choquette. «Elles nous offrent plusieurs environnements très ciblés, des niches stables.»
La télévision spécialisée offre de nombreux contenus. Elle a été la première à offrir à ses partenaires commerciaux des formules de commandites qui combinent souplesse, économie et créativité. Depuis, la télévision traditionnelle a emboîté le pas. «Les chaînes spécialisées sont des médias d’appoint qui répondent à des besoins précis [3]», nous rappellent Romain Bédard et Nathalie Collard.
La télévision spécialisée coûte moins cher. Si votre budget publicitaire est plus limité, la télévision thématique est une solution attrayante. «On s’intéresse au client qui veut faire de la télévision à petit prix, affirme Jacques Dorion [4], d’où l’apparition de nouveaux annonceurs pour qui la télévision est devenue accessible.»
La télévision spécialisée offre aux annonceurs une relation particulière avec les cibles. «Il existe un lien émotif entre une personne et la chaîne spécialisée qu’elle regarde habituellement», affirme Jacques Dorion. «Un amateur de sport va vibrer en écoutant RDS (…) Ce lien, très présent chez les spécialisées, profite directement à l’annonceur [5].» Cette affinité favorise le niveau d’implication et donc, la mémorisation du message.
La télévision spécialisée ajoute de la portée et de la fréquence. La télévision spécialisée ajoute de la couverture à une campagne nationale qui utilise la télévision traditionnelle ou d’autres médias publicitaires.
Au Québec, la station RDS est entrée en ondes en septembre 1989. De son côté, TVA Sports entre en ondes à l’automne 2011.
En novembre 2013, Rogers et la Ligue nationale de hockey (LNH) ont annoncé la conclusion d'une entente de 12 ans pour les droits multimédias et de diffusion qui comprend tous les droits aux matchs de la LNH sur toutes les plateformes et dans toutes les langues au Canada.
L'entente, le plus important contrat de droits multimédias de l'histoire de la Ligue au moment de sa signature, a débuté lors de la saison 2014-2015 et se poursuivra jusqu'à la fin de la saison 2025-2026.
Pour Québecor, cette entente a été l’occasion de mettre au monde TVA Sports et d’initier officiellement une relation d’affaires avec Gary Bettman.
D'après Sophie Cousineau du Globe & Mail, les conditions financières de TVA Sports comprennent des versements annuels de 120 millions $ à Rogers sur 12 ans ou environ 1,5 milliard $ au total.
Or, comme le rappelle le journaliste Richard Dufour, ce contrat ne s’est pas révélé payant jusqu’à maintenant:
«TVA Sports a toujours été déficitaire, ayant perdu de l’argent chaque année depuis sa création. En 12 ans d’existence, TVA Sports a maintenant perdu approximativement 242 millions.»
En réalité, ici comme ailleurs, la télévision sportive est confrontée à plusieurs défis majeurs.
RDS et TVA Sports ont subi une diminution de leur nombre d'abonnés en 2023, avec une baisse de 7 % pour RDS et de 9 % pour TVA Sports. Par ailleurs, RDS a vu ses recettes reculer de 5 %, tandis que TVA Sports a connu une baisse de 3 % de ses revenus.
Évidemment, l'absence fréquente du Canadien de Montréal en séries éliminatoires réduit l'intérêt des téléspectateurs et a un impact négatif sur le plan des cotes d’écoute, de la publicité et des abonnements.
Et bien sûr, le streaming menace la télévision traditionnelle dans son ensemble. À cet égard, les nouvelles habitudes d’écoute des plus jeunes sur Netflix, Apple TV+, Amazon Prime Video et YouTube représentent un défi important pour les diffuseurs traditionnels.
Autrefois, la chaîne de télé sportive était souvent le passage obligé pour un événement sportif. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Si je veux écouter les matchs de Noël du football de la NFL cette année, il faudra me déplacer sur Netflix. Pour écouter les matchs de soccer de la MLS, il faut aller sur Apple TV.
Dans les belles années de RDS, il n’y avait qu’un seul choix pour le téléspectateur. Aujourd’hui, il y a plusieurs options.
Avec l'échéance prochaine des contrats de diffusion, des décisions stratégiques devront être prises. Ces défis illustrent la complexité et la fragilité du secteur de la télévision sportive au Québec et ils nécessiteront des ajustements stratégiques et des collaborations pour assurer la viabilité à long terme.
Sources:
[1] Schmouker, Olivier (2000), «Des bouquets pour le CRTC», Info Presse Communications, mai, p. 13.
[2] Lejeune-Szydywar, Catherine (1997), «La course aux audimètres», Info Presse Communications, novembre, p. 54.
[3] Bédard, Romain et Nathalie Collard (1998), «Le grand nettoyage», Info Presse Communications, juillet-août, p. 44.
[4] Lejeune-Szydywar (1997), Catherine, «La course aux audimètres», Info Presse Communications, novembre, p. 54.
[5] Schmouker, Olivier (2003), «L’heure de gloire», Infopresse, no 7, p. 43.
PODCASTS (4)
À combien s'élève le coût des droits de diffusion des Jeux de Paris? Écoutez la réponse au micro de Louis-Philippe Guy et Valérie Lebeuf. Dans les prochaines semaines, il y a trois milliards de personnes qui, à un moment donné ou à un autre, vont regarder une compétition des Jeux olympiques. Évidemment, les télés sont prêtes à payer une fortune pour rejoindre ces gens-là, simplement en droit télé de retransmission.
L'avenir des chaînes télévisées sportives est sombre. RDS et TVA Sports continuent de perdre des sommes records et leurs finances se détériorent considérablement. La cause principale? La baisse des revenus d'abonnements qui représentent les deux tiers des revenus. Pourquoi moins de gens s'abonnent? Entre autres parce que les sports sont maintenant diffusés sur plusieurs de plateformes différentes. Avant, il y avait RDS. Après est arrivé à TVA Sports. C'était soit l'un ou l'autre. Maintenant, le soccer est sur Apple TV, certains matchs de la NFL sont sur Netflix... Quel est l'avenir de nos chaînes sportives télévisées? J’en discute avec Élisabetch Crête du FM 98,5 et Claude Boucher du FM 106,9.
Même en pleine couverture des Jeux olympiques, la télé sportive québécoise vit des jours difficiles. Entrevue avec Alexandra Duval de Radio-Canada.
MARKETING ET PUBLICITÉ - 10 NOUVELLES CLÉS
> À l’approche de la fin du contrat pour les droits de diffusion des matchs de la LNH, rien ne va plus en télé sportive au Québec. Les chaînes francophones de sports appartenant aux deux empires du secteur des médias perdent des montants records.
> La détérioration de la situation financière à RDS et à TVA Sports n’est en fait que la dernière secousse à frapper. Le « mouvement » observé dans le milieu de la télé sportive ne fait que débuter.
> Vous ne connaissez peut-être pas Paul Nassar, mais vous connaissez certainement les deux chaînes de magasins qu’il a achetées… en quatre jours, cette semaine. Lundi, c’était Korvette. Ce jeudi, les valises Bentley.
> Dans quelques semaines, Google lancera de nouvelles versions de son téléphone intelligent sorti il y a huit ans, que probablement peu de gens achèteront. Mais pourquoi donc les géants s’entêtent-ils à proposer des produits qui ne lèvent pas ?
> Google devait abandonner les « cookies » de suivi des utilisateurs sur son navigateur Chrome à partir de cet été, mais le géant de la recherche en ligne a annoncé un revirement, après des années de résistance des éditeurs en ligne et de questions des autorités.
> Radio-Canada critiqué à cause des annonces durant la cérémonie d’ouverture. Le diffuseur public dit travailler à mieux conjuguer le contenu et la publicité pour les futurs grands événements.
> Les jeunes consomment les films et séries d’ici différemment. Une enquête s’est penchée sur les habitudes télévisuelles des jeunes adultes.
> La manne olympique de CBC/Radio-Canada. Près de la moitié des Québécois prévoient regarder les Jeux, et les revenus publicitaires sont considérables.
> Selon Le Devoir, 55% des Canadiens et 44% des Québécois prévoient suivre les Jeux de Paris.
> Une publicité de Loblaw passe mal chez les marchés de fermiers. Des marchés des fermiers disent que Loblaw manque de respect aux producteurs locaux avec un message texte publicitaire.
> La question de la publicité lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris fait beaucoup réagir. Bernard Motulsky, professeur au Département de communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal, pense que ce n’était pas opportun, notamment parce que cela a occulté certains moments importants de la cérémonie.
IMAGES DE LA SEMAINE
Intérêt pour les Jeux olympiques selon le pays
Est-ce que la commandite des Jeux olympiques augmente votre intérêt pour le commanditaire?
Pour la première fois, le streaming représente 40% de l’usage total de la télévision aux États-Unis.
Est-ce que l’âge d’or des séries TV à la télévision, sur le câble et le streaming est terminé?
À PROPOS DE LUC DUPONT
Luc Dupont est professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa. Il est également auteur, conférencier et chercheur associé à l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques (OMSRP). Il donne chaque année de nombreuses entrevues dans les médias sur le marketing et la communication. Luc Dupont est présent sur les plateformes X (Twitter), Facebook, LinkedIn, Instagram, Pinterest, Soundcloud et YouTube.