Trois ans après une demande de Québecor, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes a levé il y a quelques jours la limite de 12 minutes de publicité par heure à laquelle étaient assujetties les chaînes spécialisées au Canada.
“Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a annoncé cette décision, notant que les chaînes spécialisées canadiennes font aujourd’hui face à « des défis de concurrence importants » des plateformes en ligne comme Netflix”, écrit Karim Benessaieh, journaliste à La Presse+.
Si a priori cette décision peut avoir du sens sur le plan des revenus publicitaires, quels impacts auront la levée de ces limites sur les téléspectateurs, l’efficacité de la publicité à la télévision et les cotes d’écoute?
Il faut savoir qu’entre 1982 et 1992, le nombre de commerciaux à la télévision a augmenté de 26 % [1]. Or, le sens commun veut qu’il devienne de plus en plus difficile de transmettre un message publicitaire efficace dans cet environnement.
En outre, il faut se rappeler qu’en quarante ans, on est passé des messages de 60 secondes aux messages de 30 secondes, puis de 15 secondes. Cela a eu pour effet d’augmenter le nombre de commerciaux auxquels les consommateurs sont exposés dans une même période de temps (pause publicitaire).
Comme si cela n’était pas suffissant, avec l’arrivée de la télécommande et du magnétoscope numérique, les téléspectateurs ont pris trois mauvaises habitudes:
Ils zappent: ils changent de chaînes à l’aide de leur télécommande, que ce soit durant les émissions ou pendant les pauses commerciales. Jacques Dorion et Jean Dumas indiquent que 48 % des gens font régulièrement du zapping [2].
Ils zippent: ils enregistrent leurs émissions favorites pour les regarder plus tard en accéléré. Évidemment, les téléspectateurs ne voient que partiellement votre publicité. Selon Research Digest, plus de 50 % des gens qui enregistrent un programme zippent lorsqu’ils le regardent [3].
Ils pratiquent le muting ou la mise en sourdine du son pendant les pubs. Selon la recherche, 19 % des téléspectateurs font régulièrement du muting [4], réduisant ainsi l’efficacité des messages publicitaires à la télévision.
Évidemment, « Ça dilue l’impact de chaque message », affirme Pierre Arthur, vice-président senior d’Optimédia [5].
Tellement d’ailleurs, que Radio-Canada s’est inspiré de la télévision européenne et a inventé une nouvelle façon de faire pour rendre le téléspectateur moins impatient : mettre un compteur de secondes avant l’arrivée de chaque émission.
Déjà, à la fin des années 80, aux États-Unis, la surcharge publicitaire commence à se faire sentir. Selon le spécialiste des médias Jacques Dorion, le pourcentage de rappel des commerciaux télévisés a chuté de 24% en 1979 à 21% en 1989 [6].
À cet égard, un sondage Léger marketing montre que 43 % des gens affirment être moins attentifs à la publicité depuis quelques années [7].
Par ailleurs, le pourcentage d’Américains qui estiment que la publicité leur a permis d’en connaître davantage sur une marque ou un service est passé de 52 % en 2005 à 41 % en 2014 [8]. Il y a donc une limite à ce que les gens peuvent absorber.
« Les gens veulent voir du contenu avant tout. Ils ne sont pas dupes. Ils sont constamment bombardés de nouvelles techniques de marketing. Ils voient venir de loin les stratégies des annonceurs [9] », rappellent Maryse Sauvé et Stéphanie Lassonde, d’Optinum.
Plus récemment, dans un effort de relance des cotes d’écoute à la télévision, Viacom et Turner ont décidé de réduire le nombre de messages publicitaires à l’heure afin de réduire l’inconfort du téléspectateur.
On pensait pouvoir ainsi augmenter les revenus publicitaires en exigeant des tarifs publicitaires plus élevés. Mais s’il faut en croire la réaction des téléspectateurs et des annonceurs jusqu’à maintenant, l’expérience n’est pas rentable financièrement et sur le plan de la cote d’écoute [10].
Sources:
[1] Katz, Helen (1995), The Media Handbook, Lincolnwood, NTC Business Books, p. 63.
[2] Dorion, Jacques et Jean Dumas (2006), Publicités à la carte, Montréal, Université de Montréal, p. 235.
[3] Research Digest, What's Happening to TV, vol. 7, no 2.
[4] Dorion, Jacques et Jean Dumas (2006), Publicités à la carte, Montréal, Université de Montréal, p. 235.
[5] Romain (1998), « L'univers des médias », La Presse, 4 mars, p. D18.
[6] Dorion, Jacques (1989), « Image ou produit », Info Presse Communications, juin, p. 28.
[7] Dagenais, Bernard (2008), La publicité : stratégie et placement média, Québec, Presses de l’Université Laval (PUL), p. 299.
[8] Faw, Larissa (2015), Consumers say ads are now less informative about products », Mediapost, https://www.mediapost.com/publications/article/242465/consumers-say-ads-are-now-less-informative-about-p.html
[9] Sauvé, Maryse et Stéphanie Lassonde (2000), « Trop c’est trop », Infopresse, septembre, p. 76.
[10] Bruell, Alexandra (2017), « Some TV networks take a hit from cutting ad time, benefits yet to materialize », Wall Street Journal, 14 août, https://www.wsj.com/articles/some-tv-networks-take-a-hit-from-cutting-ad-time-benefits-yet-to-materialize-1502683263
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IMAGES DE LA SEMAINE
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Revenus de la publicité à la télévision et sur internet, 1999-2022 (source: Statista)
La télévision au Québec - un phénomène unique (source: Québecor)
Taux d’abonnés aux services payants de visionnement en ligne au Québec - streaming (source: NETendances dans La Presse+).
À PROPOS DE LUC DUPONT
Luc Dupont est professeur agrégé au département de communication de l’Université d’Ottawa. Il est également auteur, conférencier et chercheur associé à l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques (OMSRP). Il donne chaque année de nombreuses entrevues dans les médias sur le marketing et la communication. Luc Dupont est présent sur les plateformes X (Twitter), Facebook, LinkedIn, Instagram, Pinterest, Soundcloud et YouTube.